Theodor Eicke naît en 1892 à Hudingen, aujourd'hui Hampont dans le Saulnois en Moselle, alors annexée à l'Empire allemand. Son père est chef de gare. Après avoir quitté l'école sans brevet de fin d'études, il s'engage comme volontaire dans le 23e régiment d'infanterie bavarois. Plus tard, lors de la Première Guerre mondiale, il est l'officier payeur du 3e, puis en 1916 du 22e régiment d'infanterie bavarois.
Décoré de la croix de fer, Theodor Eicke n'a néanmoins aucun espoir de trouver du travail après la guerre. Il commence des études de technicien supérieur à Ilmenau, ville natale de son épouse, mais les abandonne en 1920 à cause de son faible niveau scolaire, avec l'intention de faire carrière dans la police.
À l'inverse d'autres futurs chefs nazis, il ne s'engage pas dans les corps francs pendant la guerre civile entre 1918 et 1921.
Son projet d'entamer une carrière de policier se solde par un échec, dû non seulement à son manque de formation scolaire, mais aussi à sa haine de la république de Weimar et à ses participations répétées à de violentes manifestations politiques, interdites aux membres de la police. En 1923, Theodor Eicke est finalement engagé comme employé de bureau par IG Farben , dont il devient un adjoint du chef du service de sécurité interne dans l'usine de Ludwigshafen deux années plus tard. IG Farben est le rapprochement concerté des sociétés chimiques BASF, Bayer et Agfa dont une de ses filiales, la Degesch, produisant le gaz Zyklon B, initialement utilisé comme insecticide et raticide, en produira de grandes quantités pour les nazis qui les utiliseront dans les chambres à gaz de certains camps d’extermination. Pour satisfaire à la demande grandissante de main-d'œuvre, la société exploita aussi des travailleurs forcés dans plusieurs camps de travail. Au faîte de sa puissance, le conglomérat employa environ 190 000 personnes, dont 80 000 travailleurs forcés.
1928-1933
En décembre 1928, Eicke s'inscrit à la fois au parti nazi et à la Sturmabteilung (SA), qu'il quitte en août 1930 pour rejoindre la SS. Ses qualités de recruteur, dont il fera preuve plus tard pour la Waffen-SS, son apport pour l'organisation de la SS en Bavière le font rapidement remarquer. Fin 1931, Heinrich Himmler le promeut Standartenführer.
Soupçonné de préparer des attentats à la bombe contre des adversaires politiques bavarois, il est condamné, en juillet 1932, à deux ans de réclusion. Grâce à la protection du ministre de la Justice, Franz Gürtner, il obtient une dispense de peine temporaire et, sur les instructions de Heinrich Himmler, se réfugie en Italie pour s'occuper d'un camp pour fugitifs de la SS.
Pendant ce temps, sa mise en accusation pour un acte terroriste attire à tel point l'attention de son employeur qu'Eicke est licencié par IG Farben en 1932.
SS et camps de concentration
Eicke regagne l'Allemagne en mars 1933, après l'accession au pouvoir d'Hitler.
En juin 1933, il est nommé par Himmler commandant du camp de concentration de Dachau, où sont alors détenus 2 000 prisonniers. Il y met immédiatement en place les bases du système concentrationnaire nazi, notamment en ce qui concerne l'obéissance aveugle des gardiens aux ordres, et le système de surveillance, de discipline et de châtiment des détenus, dont « le but est de briser psychologiquement, moralement et physiquement les prisonniers ». Avec « Papa Eicke », surnom qui lui est donné par les gardiens de camp, on passe de la brutalité indisciplinée de la SA à la terreur planifiée de la SS. Ses résultats font forte impression sur Himmler qui le promeut SS-Brigadeführer le 30 janvier 1934.
Eicke fait preuve d'un antisémitisme et d'un antibolchevisme radicaux. Il proclame « sa haine contre tout ce qui est non allemand et non national-socialiste ». Il impose aux gardiens une obéissance aveugle et inconditionnelle envers lui, en tant que commandant du camp, mais aussi envers la SS et le Führer.
Eicke participe à la nuit des Longs Couteaux : avec quelques gardiens triés sur le volet du camp de concentration de Dachau, il apporte son aide à Sepp Dietrich, commandant de la SS-Leibstandarte Adolf Hitler, pour incarcérer les principaux dirigeants de la SA. À cette occasion, le 2 juillet 1934, il prouve sa totale fidélité à Himmler et Hitler en participant à l'assassinat d'Ernst Röhm. Ce meurtre lui vaut d'être promu SS-Gruppenführer, ce qui le place au second rang de la hiérarchie SS.
En outre, l'ensemble de ces « qualités » impressionne Heinrich Himmler qui le nomme deux jours plus tard, le 4 juillet, inspecteur des camps de concentration et commandant des unités « Totenkopf » (Inspekteur des Konzentrationslager und Führer des SS Totenkopfverbände). Comme commandant des « Totenkopfverbände », il relève du bureau central de la SS, le SS-Hauptamt, et prend ses ordres directement auprès de Himmler ; en tant qu'inspecteur des camps, il dépend également de Himmler et, à partir de juin 1939, de l’Amt D du VuWHA (le Verwaltung und Wirtschaft Hauptamt : le « Service d'administration et d'économie de la SS ») dirigé par Oswald Pohl.
Dans sa fonction d'inspecteur des camps de concentration, Eicke met en place une profonde réorganisation qui s'étend de début 1935 à 1939 : il supprime les petits camps de concentration pour ne conserver que six d'entre eux regroupant environ 3 500 détenus chacun, dont Dachau ; à partir de 1936, il étend le système concentrationnaire avec la création de Sachsenhausen, Buchenwald (1937), Flossenbürg (1938), complétés après l'Anschluss, par Mauthausen (1938), puis par le camp pour femmes de Ravensbrück en 1939 ;
L'organisation et l'administration de tous les camps sont calquées sur le modèle mis en place à Dachau et, à l'exception de ce modèle, tous les anciens camps sont fermés.
Dès 1936, Eicke fait procéder à l'arrestation et l'internement dans les camps de nouvelles catégories de détenus qui n'ont aucun rapport avec les opposants au régime, « mendiants, criminels, récidivistes de la petite délinquance, ivrognes, chômeurs professionnels, clochards, Tziganes et zélateurs de sectes religieuses ». Il plaide pour l'agrandissement des camps existants et la construction de nouveaux centres de détention et envisage de les utiliser comme réservoir de main d'œuvre servile.
La réorganisation réalisée par Eicke et l'utilisation des détenus comme travailleurs forcés font des camps de concentration l'un des outils les plus puissants de la SS.
« Quiconque fait de la politique, tient des discours ou des réunions de provocation, forme des clans, se rassemble avec d'autres dans le but d'inciter à la révolte, se livre à une nauséabonde propagande d'opposition ou autre sera pendu en vertu du droit révolutionnaire ; quiconque se sera livré à des voies de fait sur la personne d'un garde, aura refusé d'obéir ou se sera révolté sous quelque forme que ce soit, sera considéré comme mutin et fusillé sur-le-champ ou pendu » — Extrait du règlement régissant la discipline et la répression des détenus, rédigé par Theodor Eicke.
L'attitude inflexible de Eicke et sa détermination à exploiter sans mesure la main-d’œuvre concentrationnaire ont une profonde influence sur le personnel des camps de concentration. L'endoctrinement permanent, la brutalité d'Eicke lui-même, empêchent tout sentiment d'humanité des gardiens : Eicke voulait supprimer chez les SS tout sentiment de pitié à l'égard des internés. Ses discours, les ordres dans lesquels il insistait sur le caractère criminel et dangereux de l'activité des internés, ne pouvaient rester sans effets.
« Sans cesse endoctrinées par lui, les natures primitives et frustes [des gardiens] concevaient à l'égard des prisonniers une antipathie et une haine difficilement imaginables pour les gens du dehors. »
Dans tous les camps se mettent en place une violence et une cruauté contrôlées et disciplinées, un véritable système de terreur bien codifié qui se poursuivra après le départ de Eicke. Il aura notamment formé des commandants de camp comme Rudolf Höss à Auschwitz, Franz Ziereis à Mauthausen et Karl Otto Koch à Sachsenhausen et Buchenwald.
« À cette époque, combien de fois n'ai-je pas dû me dominer pour faire preuve d'une implacable dureté ! Je pensais alors que ce qu'on continuait à exiger de moi dépassait les forces humaines ; or, Eicke continuait ses exhortations pour nous inciter à une dureté encore plus grande. Un SS doit être capable, nous disait-il, d'anéantir même ses parents les plus proches s'ils se rebellent contre l'État ou contre les conceptions d'Adolf Hitler »
Eicke semble toutefois apprécié par ses troupes, ce qui explique vraisemblablement son surnom de « Papa Eicke ». D'après Wolfgang Sofsky, il met systématiquement en place une politique de « copinage » , à l'opposé des traditions militaires qu'il déteste : ainsi, Eicke demande à ses hommes de se tutoyer, fusionne les mess des sous-officiers et des officiers, protège ses hommes, même en cas d'entorses aux règles, sauf s'ils manifestent un sentiment de pitié envers les détenus, et, lors de ses fréquentes tournées d'inspection, il cherche le contact avec les hommes du rang en l'absence de leurs supérieurs. En outre, lorsque des gardiens abattent un détenu pour « tentative de fuite », il demande qu'on évite de leur faire subir un interrogatoire, pour ne pas les « inquiéter ».
La division Totenkopf
C'est sous le commandement de Eicke en 1939, que débute la transformation des SS-Totenkopfverbände c'est-à-dire du personnel des camps de concentration, en vue d'en faire des unités aptes à combattre sur le front qui constitueront la 3e Panzerdivision SS Totenkopf. Dès sa prise de fonction, il mobilise tous ses contacts au sein de la SS pour assurer un bon équipement à sa division, notamment en termes d'armes antichars, pour la motoriser et la doter d'un groupe de reconnaissance.
À partir de ce moment, Eicke entame une nouvelle carrière et n'a plus de responsabilités dans l'organisation des camps de concentration. Richard Glücks lui succède en tant qu'inspecteur des camps, sous l'autorité d'Oswald Pohl.
L'homme change de fonction, mais ses convictions restent les mêmes. Anti-catholique convaincu, il arrive, en 1940, à convaincre une compagnie entière de sa division de renoncer à la religion chrétienne, en le faisant acter par un tribunal administratif. Il veille scrupuleusement au respect des drastiques critères de recrutement de la Waffen-SS, n'hésitant pas à renvoyer des candidats pourtant acceptés mais qu'il juge personnellement non conformes aux normes physiques, raciales ou morales de la SS et rechigne à voir ses officiers quitter la division Totenkopf pour renforcer d'autres unités.
Au cours de la guerre, Eicke et sa division se distinguent par leur brutalité et le nombre de leurs crimes de guerre.
Lors de la campagne de Pologne, trois régiments des unités Totenkopf (« Oberbayern », « Brandenburg » et « Thüringen ») suivent les troupes allemandes pour « appréhender les réfugiés récemment arrivés dans le pays et traquer les éléments hostiles au régime, parmi lesquels les francs-maçons, les Juifs, les communistes, l'intelligentsia, le clergé et l'aristocratie ». La brutalité des unités Totenkopf, et le nombre des assassinats qu'elles commettent, font l'objet de vives critiques du Generalobersth Johannes Blaskowitz de l'armée de terre : « Les sentiments de la troupe envers la SS et la police oscillent entre la répulsion et la haine. Tous les soldats sont pris de dégoût et de répugnance devant les crimes commis en Pologne ».
Pendant la campagne de France, la division Totenkopf commet le massacre du Paradis le 27 mai 1940, durant lequel elle assassine une centaine de prisonniers britanniques en France, sous les ordres de l’Obersturmführeri Fritz Knöchlein, qui sera condamné à mort et exécuté pour crimes de guerre après la fin du conflit ; elle est également responsable de l'exécution sommaire de troupes sénégalaises et marocaines qui essayaient de se rendre.
En prévision du déclenchement de l'invasion de l'Union soviétique, Eicke insiste pour que sa division soit dotée de camions militaires conçus pour le transport de troupes à la place des divers véhicules qu'elle a reçus : « Abstraction faite que nous avons l'air de romanichels et qu'une telle apparence ne sied pas à la SS, on ne peut conduire aucune guerre à l'Est avec ce genre de véhicules ». Son insistance lui permet d'obtenir gain de cause. Avant le déclenchement de l'opération, il réunit ses officiers à plusieurs reprises « pour leur montrer l'enjeu de la lutte qui allait opposer le national-socialisme au judéo-bolchevisme ». « Par la suite, cette division fut sans doute la plus impitoyable du front russe, et aussi la plus irréductible ».
En septembre 1941, en Finlande, deux régiments de la division s'enfuient devant une contre-offensive des troupes de l'Armée rouge, s'attirant de sévères jugements d'officiers de la Wehrmacht.
Sous le commandement d'Eicke, puis également après sa mort, la division Totenkopf fait preuve d'un fanatisme inégalé et de férocité lors de l'avancée en 1941, de l'offensive de l'été 1942, de la conquête de Kharkov, de la bataille de la poche de Demiansk, et lors de la défense de Varsovie puis de Budapest début 1945. Elle fait preuve de remarquables aptitudes au combat défensif contre l'Armée rouge. Sur le front de l'Est, elle est coupable de l'assassinat de prisonniers et de civils en Union soviétique, de la destruction et du pillage de nombreux villages russes. Eicke fait en outre régner une discipline de fer et parfois expéditive, comme l'exécution d'un soldat incitant à la mutinerie avant la confirmation du verdict par la Reichsfürhungs-SS, ce qui débouche immédiatement sur son dessaisissement de juge de sa division.
Peu après sa promotion au grade de SS-Obergruppenführerb, Theodor Eicke est tué le 26 février 1943. Au cours d'une reconnaissance aérienne en préparation à la troisième bataille de Kharkov, son avion, un Fieseler Fi 156 Storch, est abattu par l'Armée rouge dans les environs d'Artelnoje, près de Losowa. Ses troupes lancent immédiatement une attaque pour sécuriser le site où l'avion s'est écrasé et récupérer le corps de leur chef.
La propagande nazie dresse de Theodor Eicke un portrait de héros. Peu après sa mort, un des régiments de la division Totenkopf est baptisé « Theodor Eicke », nom qu'il arbore sur la manchette, « privilège rare et hiérarchisé ». Sa réputation militaire reste cependant controversée.
Dès 1940, lors de la campagne de France, l'attitude d'Eicke pour qui « les pertes, ça n'a pas d'importance » fait l'objet de critiques d'officiers de la Wehrmacht, effrayés par le nombre des morts et des blessés au sein de la division Totenkopf. Ces critiques se renouvellent lors de l'invasion de l’Union soviétique : de juin 1941 à mars 1942, la division perd 12 000 hommes, soit environ les trois quarts de son effectif initial de 17 000 SS.
Pour Charles Sydnor « La caractéristique la plus constante, dans la façon dont il abordait les problèmes de commandement sur le terrain, était son fanatisme, qui l'emportait sur le pragmatisme et la logique dans les questions relatives à l'instruction, à la discipline, à la logistique et à la tactique. Eicke considérait l'extermination de l'ennemi comme l'objectif principal de la guerre et avait le sentiment que la détermination fanatique et l'absence totale de pitié, que ce soit dans l'attaque ou la défensive, étaient les clés du succès tactique ». Jean-Luc Leleu insiste quant à lui sur l'attention apportée par Eicke à la formation de ses hommes sur une base empirique et pragmatique, particulièrement pour mieux les préparer aux dures conditions du front de l'Est. Heinz Höne souligne la différence entre « l'esprit des formations tête de mort de « Papa Eicke » » et celui des autres unités de la Waffen-SS.