La société française dans les années 1780 n'est pas sans rappeler celle de maintenant !
Si les perruquiers n'entretiennent plus les perruques poudrées du pouvoir, ils n'ont pas disparu pour autant avec leurs privilèges comme nous l'apprend le Canard enchaîné de cette semaine !
La société sous l'Ancien Régime repose sur l'existence de droits médiévaux, les privilèges (leges privatae, lois particulières) qui sont les statuts dont disposent non seulement les corps constitués tels que le clergé et la noblesse, mais aussi les provinces, les villes et les corporations.
La Révolution française, qui naît d'une crise financière due à la participation de la France à la Guerre d'indépendance des États-Unis, concentre essentiellement discours et critiques sur les privilèges fiscaux du clergé et de la noblesse (le poids des impôts est inégalement réparti entre ceux-ci et le Tiers état alors que celui-ci est le plus productif). Mais à l'intérieur même du Tiers État (qui représente 97 % de la population), il y a de fortes différences selon le métier, la province voire la ville. Les lois sont différentes en Bretagne et en Languedoc.
Ce manque d'unicité de la loi sous l'Ancien Régime est soit le fruit des agrandissements du royaume (le nouveau territoire reconnaît la souveraineté du roi de France et demande à celui-ci le respect de ses coutumes), soit des traditions sociales (par exemple, la noblesse ne paie pas l'impôt de la taille personnelle mais en échange doit payer « l'impôt du sang » c'est-à-dire faire la guerre pour le royaume ; les habitants du village de Domrémy ne paient pas d'impôts) ou professionnelles (par exemple les savetiers ont des privilèges que n'ont pas les cabaretiers et inversement, sachant que ces privilèges varient d'une province à l'autre). Le libéralisme et les lois européennes aujourd'hui !
Les privilèges gênent l'établissement d'une politique générale, entravent les volontés de réforme du gouvernement (notamment sous Louis XV), ralentissent les échanges (il y a des péages d'une province à l'autre, voire d'une ville à l'autre). Ils figent la société. Cependant, tous les privilèges ne sont pas abusifs et le Peuple reste attaché à certains, notamment le droit de corporation : des gens d'un même corps de métier se rassemblaient au sein d'une même organisation (sorte de syndicat de l'époque) pour peser sur la société et organiser des systèmes d'aides, ce que nous appellerions aujourd'hui les retraites ou les salaires minimum. L'abolition et l’indifférenciation de tous ces privilèges provoquera des frustrations paysannes à l'encontre du pouvoir révolutionnaire, qui aboutira notamment aux guerres de Vendée.
Au XVIIIe siècle, l'essor de nouvelles catégories sociales dans les villes et dans les gros bourgs est indéniable. Parmi les nouvelles couches, on distingue d'une part une bourgeoisie marchande ou financière, qui profite de l’enrichissement global, et pour une fraction d'entre elles des grandes spéculations boursières sous Louis XVI, des laboureurs, des paysans riches qui peuvent offrir à leurs enfants une éducation et d'autre part une bourgeoisie de fonctionnaires et d'hommes de loi qui aspire à jouer un rôle politique.
Cependant la société semble se figer, l’accès à la noblesse se ferme. Dans les années 1780, les nobles qui ont besoin de numéraire remettent en vigueur des droits féodaux oubliés et contrôlent de manière plus tatillonne leur perception : c’est la réaction nobiliaire. À la fin des années 1780, les mauvaises récoltes jettent à la rue les membres les plus fragiles des communautés, mais la Révolution n'arrive pas comme une conséquence de ces dernières années, l'historien Jean Nicolas recensant pendant tout le XVIIIe siècle, qu'il appelle le « siècle d'intranquillité », pas moins de 8 528 révoltes de communautés paysannes qui se politisent de plus en plus.