Face à la prolifération de rongeurs, la Fredon (Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles) Lorraine a autorisé, fin mars, les agriculteurs de trois communes (Oriocourt, Lemoncourt, Château-Salins) à utiliser de la bromadiolone. Utilisé uniquement à titre dérogatoire, ce rodenticide, un anticoagulant hautement toxique, est l’une des bêtes noires des associations de la faune sauvage. Notamment du fait qu’il empoisonne les rapaces, espèces protégées, qui viendraient à se nourrir de rongeurs contaminés.
C'est pourtant un poison bien connu depuis de nombreuses années puisqu'en 2001 on écrivait déjà :
La pullulation du campagnol est un phénomène naturel qui se produit selon des cycles de cinq ou six ans. Ces alternances d’abondance et de rareté fournissent de la nourriture à de nombreuses espèces sans endommager la végétation. Quand ils deviennent trop nombreux, les campagnols attirent quantité de prédateurs qui les chassent et en réduisent le nombre. Ainsi, le milieu vivant se trouve naturellement auto-régulé et parfaitement équilibré à l’échelle de quelques années.
Mais, de nouvelles pratiques agricoles ont affecté ces cycles naturels. Le compactage des terrains par les engins mécaniques, la monoculture, la conversion des terres pour l’élevage laitier, la destruction des haies ont façonné un milieu ouvert, favorable au campagnol et défavorable à ses prédateurs, de sorte que les cycles n’ont cessé de se rapprocher, jusqu’à devenir très problématiques pour les exploitants dans les années 80.
On décide alors de répondre à cette situation par des moyens chimiques et de combattre les campagnols en les empoisonnant. La bromadiolone était utilisée contre les rats dans les grandes villes. On choisit de l’employer aussi à la campagne, en négligeant l’impact négatif, pourtant connu de ce produit.
La bromadiolone agit sur la coagulation du sang des animaux à sang chaud. Son ingestion entraîne une mort lente et pénible dans un délai de 24 à 36 heures. Ainsi, le rongeur ayant avalé ce poison n’en meurt que deux jours plus tard pendant lesquels, très affaibli, il est très vulnérable à ses prédateurs naturels. Or, le campagnol est un peu comme le plancton des carnivores terrestres, il est à la base de la chaîne alimentaire pour un grand nombre d’espèces : belettes, renards, putois, fouines, blaireaux, sangliers, rapaces, lynx…, en les mangeant en grande quantité, finissent par s’empoisonner à leur tour.
A titre d’exemple, en 1998/99, en Franche Comté, à la suite d’une seule campagne sur 44 000 hectares, on a dénombré 846 victimes « non-ciblées », c’est-à-dire indirectes (427 buses, 232 renards, 11 blaireaux, 53 milans royaux…). Dans le Doubs, on estime à 70 % la diminution des effectifs du milan royal, espèce protégée et menacée.
Par ailleurs, aucune étude n’a jusqu’à présent été menée sur les risques sanitaires pour l’homme : ni la concentration en poison dans le lait, et donc dans le fromage, ni celle dans l’eau des nappes phréatiques ne sont connues. Pourtant, on peut raisonnablement penser que les risques ne sont pas négligeables.
Pourquoi, alors, le principe de précaution, utilisé à tort et à travers ces derniers temps, ne s’applique-t-il pas ici ? Il faut croire que cela gênerait trop l’industrie agrochimique et certains milieux agricoles. Et puis, peut-être, la médiatisation est-elle encore insuffisante. En attendant, les services de l’Etat, et en premier lieu les Préfets, qui décident des campagnes de lutte chimique, mettent un zèle exemplaire à encourager le recours à la bromadiolone. Ainsi depuis 1998, le produit est-il autorisé sur appâts secs, comme le blé, et simplement répandus sur le sol, ce qui multiplie le nombre et la diversité des victimes. Mais l’épandage est plus facile et moins coûteux…En revanche, l’Etat ferme les yeux sur les nombreux manquements aux règles d’utilisation régulièrement constatés.
La pullulation des campagnols est due aux modifications que l’homme a imposées à son environnement.
Les réponses appropriées passent par le respect des équilibres naturels. Pour cela, de nouvelles méthodes culturales doivent être appliquées :
· rotation des cultures,
· retour aux herbages,
· restauration des haies qui fractionnent l’espace et procurent des abris aux prédateurs.
Extrait d'un article en juin 2001 de Régis Coromina à lire ici, et depuis... rien n'a changé !