Alors que le cinéma, abréviation de cinématographe, se porte particulièrement bien sur notre secteur avec deux très belles salles dotées des moyens de projection les plus modernes, rappelons-nous que cet art est encore très récent et qu'il n'y a pas si longtemps le cinéma ambulant projetait ses films sur des toiles dans nos villages en été !
La Sortie de l'usine Lumière à Lyon est le premier film tourné avec le Cinématographe (marque déposée) des frères Lumière, et le premier film d'images photographiques animées de l'histoire du cinéma à être projeté sur grand écran. Les films qui le précèdent, dès 1891, ont été tournés avec le Kinétographe de Thomas Edison et de William Kennedy Laurie Dickson, et sont visionnés individuellement à l'aide du Kinétoscope, une machine qui montre les images en mouvement, éclairées par l'arrière, vues à travers un œilleton et un jeu de loupes.
Quant aux premières projections animées sur grand écran, ce sont - avant les projections Lumière - celles qu'organisa dès 1892 Émile Reynaud dans le cadre de son Théâtre optique, dont les Pantomimes lumineuses — les premiers dessins animés du cinéma — utilisent aussi un support souple en gélatine recouverte d'une couche de protection en gomme-laque, mais n'ont pas recours à la prise de vues sur une émulsion photosensible, ce qui ne les exclut pas le moins du monde du spectacle cinématographique.
Cette « vue photographique animée » dure 45 secondes et a été tournée le 19 mars 1895.
On y voit la sortie du personnel de l'usine, essentiellement des ouvrières, au 21-23 rue Saint-Victor (aujourd'hui rebaptisée rue du Premier-Film), au sein du quartier de Monplaisir, dans le 8e arrondissement de Lyon.
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Il existe au moins trois versions de ce film. En effet, les tirages de copies malmenaient les négatifs originaux, et on n'utilisait pas encore d'internégatifs établis par l'intermédiaire d'un contretype, dont la définition laissait à désirer à cette époque. Il fallait donc refaire un tournage pour enregistrer un nouveau négatif. Ce n'est que dans la dernière version (la plus connue) que tous les personnages parviennent à sortir et fermer l'usine avant la fin de la pellicule. Mais ce qui distingue plus particulièrement la première version des deux suivantes tient dans le fait que Louis Lumière a demandé aux ouvriers et ouvrières de revenir le dimanche après la messe pour tourner la deuxième et la troisième version. Ainsi, contrairement à la première version où tout un chacun et chacune est en habit de travail, dans les deux autres, tout le monde est en habit du dimanche (voir le film ci-dessus). C'est en comparant les trois films que cette conclusion a pu être déduite.
Les frères Lumière pensaient que le cinéma était un feu de paille qui serait vite éteint, ainsi que le reconnaît le petit-fils de Louis Lumière, Maurice Trarieux-Lumière : « Mon grand-père m'a dit qu'il croyait que le Cinématographe fatiguerait la vision des spectateurs. C'était comme une attraction qui aurait passé. Il ne vit pas, c'est vrai, comme Léon Gaumont ou Charles Pathé, l'essor que le cinéma prendrait. »
Par ailleurs, l’un des plus célèbres opérateurs qui coururent à travers le monde pour ramener des vues photographiques animées à la société Lumière, Félix Mesguich, raconte dans ses mémoires que lors de son embauche, Louis Lumière l'avait mis en garde contre tout débordement d’enthousiasme :
« Je ne vous offre pas un emploi d’avenir, mais plutôt un travail de forain. Ça durera un an ou deux, peut-être plus, peut-être moins. Le cinéma n’a aucun avenir commercial. »